Entretien: Bruno Fay
En 2002, le journaliste Bruno Fay a publié (avec Laurent Ollivier) le "Casier judiciaire de la République", un livre qui recense les élus mis en examen et condamnés entre 1990 et 2000. Il a accepté de livrer ce qu'il reprochait à l'institution judiciaire à l'époque de parution, mais également son avis sur la justice à deux vitesses.
Pourquoi avoir écrit
le livre « Le casier judiciaire de
la République » ?
A la fin des années 1990, j’ai commencé
à découper des articles dans la presse mentionnant les élus mis en examen ou
condamnés, simplement dans le but d’archiver. Et puis un jour on s’est dit (avec
Laurent Ollivier ndlr) que ce serait bien de mettre en forme, l’idée est alors
venue d’éditer tout le contenu.
A l’époque on reprochait à
l’institution judiciaire le manque de statistiques sur la justice des élus
(condamnations ou mises en examen). Il n’y a pas d’outil informatique par
exemple. Aujourd’hui on ne peut pas avoir de vision de la justice politique
pour mesurer l’ampleur de la corruption. Le Ministère de la Justice pourrait
établir ces statistiques, mais il ne le
fait pas.
Comment
vous-y-êtes-vous pris ?
On a compilé au début 1300 élus.
Pour certains les informations étaient incomplètes, ou ils nous manquaient les
jugements finaux. On a vérifié le plus possible en récupérant les jugements
auprès des greffiers. C’est-à-dire que nous avons contacté tous les tribunaux
de France. Nous n'avions aucun critère politique pour classer les
élus. On en a retenu 604.
Pourquoi les hommes
politiques échappent-ils à la prison selon vous ? Peut-on parler de
justice à deux vitesses ?
Un magistrat qui souhaite mettre
en examen un élu important va s’y prendre avec beaucoup plus de précautions. Le
juge Armand Riberolles me confiait : « Quand je suis face à un homme
politique, je prends trois fois plus de précautions que pour un justiciable
ordinaire ». Il suffit qu’il y ait un vice de procédure et tout tombe.
C’est une vitesse différente. Notamment parce que les hommes politiques ont les
moyens de s’offrir de bons avocats qui vont éplucher en profondeur les dossiers
en cherchant la moindre faille. Donc il y a des reports, des contre expertises
etc. à cause de l’acharnement des avocats. Les magistrats savent que s’ils
poursuivent un élu, ils doivent être costauds. C’est ce qui explique la justice
à deux vitesses. Celui qui a de l’argent peut mieux se défendre, c’est aussi
bête que ça. C’est une inégalité de moyens.
Je pense que concernant la
justice à deux vitesses, ou les interventions, il y a beaucoup de fantasmes
dans l’opinion publique. Les affaires concernant les hommes et femmes
politiques ont bien évolué depuis 30 ans. Jusqu’à la fin des années 1990, un grand
nombre d’affaires concernait les financements de partis politiques. Aujourd’hui
ce sont davantage des délits ou crimes individuels. Ça change aussi la
perception par rapport à la justice à deux vitesses. Car à l’époque forcément,
il y avait des interventions politiques pour freiner les affaires (ex
Himalaya). Il n’y avait même pas de justice, elle était bloquée. Aujourd’hui
les interventions sont beaucoup plus rares.
Il y a deux éléments qui pour moi
représentent les inégalités de justice. D’abord l’immunité Présidentielle,
c’est une vraie injustice. Demain Emmanuel Macron renverse une personne en
voiture, il n’est pas inquiété. Ensuite le cas des Ministres. Ces derniers ne
peuvent être jugés pour les délits/crimes qu’ils ont commis - dans l’exercice
de leur fonction - que par la Cour de Justice de la République qui n’est
composée… que de parlementaires ! Où est la place de l’objectivité dans ces
cas-là ? Et puis ont-ils vraiment les compétences ?
Alexandre Camino
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